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Sujet d’oral de philosophie de Khâgne B/L de type ENS

 

Le pardon

 

            Dans leur vie communautaire, les hommes sont amenés à s’affronter les uns les autres. Or, les conflits sont source de haine et de rancœur. Aussi, le pardon apparaît nécessaire pour dépasser cette situation conflictuelle afin de rétablir la paix. Le concept même de pardon implique l’idée de don comme quelque chose d’immérité. Ainsi le pardon semble relever de la gratuité. Mais le pardon suppose également la possibilité d’être soi-même pour les torts qu’on a commis. Le pardon peut-il donc être intéressé ?

            D’ailleurs quand bien même le pardon serait désintéressé, il pose malgré tout problème. Il est présenté comme la solution qui par l’oubli ou l’amnistie, permet d’éviter la persistance du conflit. Le pardon peut-il signifier l’oubli voire la négation de la faute pour mettre un terme au conflit ?

 

I) Le pardon implique la reconnaissance du mal

 

            Le pardon revient à ne plus prendre en compte le mal qu’on a subi. Autrement dit, il s’agit de ne plus tenir rigueur à l’auteur des méfaits dont on est victime. C’est pourquoi le pardon apparaît comme une sorte de don c’est-à-dire qu’on renonce  à rendre le mal à autrui. C’est en ce sens qu’on parle du pardon divin. Le pardon divin signifie que le pécheur n’aura pas à « payer » les réparations du mal qu’il a commis. Mais ce pardon passe par la reconnaissance au préalable de ses fautes.

            Ainsi, le pardon implique que l’auteur du mal confesse son regret, son repentir. Pardonner suppose donc de non pas la négation du mal perpétré mais la reconnaissance du mal après quoi la mauvaise action du coupable est « oubliée ».

Par conséquent, le pardon semble gratuit ou quasiment gratuit. De ce fait, il s’apparente au don car il n’exige en fait que la reconnaissance du mal commis, d’où l’importance de la confession.     Le pardon se révèle être à la fois la reconnaissance de la faute et l’effacement de la faute. En effet, le fait même de pardonner porte en lui la reconnaissance que quelque chose de mal a été commis. Comment ce qui est présenté comme un oubli du mal, peut-il en même temps impliquer sa reconnaissance ?

 

II) Le pardon implique le sacrifice

 

            Si le pardon implique la reconnaissance du mal, le mal ne peut rester impuni. Au-delà de la reconnaissance orale, le pardon appelle une réparation. L’exemple biblique montre que le pardon nécessite le sacrifice. Ainsi en Israël, le sacrifice était nécessaire quand la loi divine était violée dans l’Ancien testament. Le pardon divin ne survenait que pour autant que la loi du talion était respectée.

            Suivant ce modèle, le christianisme fait du sacrifice du Christ une condition nécessaire au pardon de l’humanité. Mais la différence fondamentale réside dans le fait que le pardon correspond réellement à un don gratuit car le pécheur n’est plus à l’origine du sacrifice qu’exige la loi divine. C’est Dieu lui-même qui procède au sacrifice au travers du Christ. On retrouve toutefois la dimension de l’effacement par le symbole du sang qui lave la faute.

            Dans certaines sociétés primitives, le pardon passe également par la destruction des biens de celui qui a commis la faute. Il se joue ainsi quelque chose de symbolique puisque la destruction des biens symbolise la destruction des fautes. Par ailleurs, le mal pour le mal semble impardonnable. Le mal absolu qui s’affirme comme tel semble dépasser la sphère du pardon.

            Même si le pardon divin est présenté comme le modèle même de ce que doit être la pardon, il reste problématique dans le judaïsme et dans l’islam. Il implique l’idée de sacrifice. Cette dimension sacrificielle met à mal l’idée de gratuité. Le pardon ne serait-il pas gratuit ?

 

III) Un pardon pur de tout sacrifice est-il possible ?

 

            Si le pardon nécessite un sacrifice de la part de celui qui a commis la faute, alors il ne peut s’agir d’un pur pardon. Or dans le christianisme, le pardon n’implique aucun sacrifice de la part de celui qui a commis la faute. Peut-on envisager un tel pardon dans l’ordre proprement humain ?

            Si l’on s’en tient strictement à la raison, il y a nécessité de réparation mais Rousseau a montré que la pitié permet à l’homme de renoncer à une indifférence à l’égard du malheur d’autrui. La pitié peut donc permettre le pardon, néanmoins ce n’est que pour autant qu’on se met à la place d’autrui. Ainsi, la pitié inverse le rapport, on n’a pas pitié de celui qui a subi la mal mais de celui qui l’a commis. Cette inversion est rendu possible par le fait de se mettre à la place du fautif : « Pardonnez comme il vous sera pardonné » dit la bible. Ce mode de pardon est assurément condamné par Nietzsche car il relève de la pitié. D’une part, Nietzsche récuse la morale du ressentiment qui refuse radicalement le pardon alors même que le mal subi ne devrait pas entamer la souveraineté de soi-même. D’autre part, la pitié s’apparente à de la faiblesse contredisant ainsi toute volonté de puissance. Ce pardon par la pitié constitue dès lors un refus de l’affirmation de soi.

 

 

            Le pardon n’est ainsi possible que pour autant qu’il y a reconnaissance de la faute. On le pense souvent comme étant quelque chose de réciproque ouvrant la possibilité d’être à son tour pardonné. S’il implique la pitié, il n’est pas pur de tout intérêt et s’entache donc d’inclination au sens kantien. Un pur pardon serait un pardon qui n’envisage pas de réciprocité. Or dans la formule du notre père « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés », on peut envisager que le chrétien qui pardonne, pardonne afin d’être pardonné. Il pardonne donc par intérêt et compromet ainsi la moralité au sens kantien d’acte désintéressé. Que ce soit par inclination ou par intérêt, le pardon n’est pas un pur pardon. Le véritable pardon serait un pardon qui s’en tient formellement à la reconnaissance de la faute.

 

 

GODONOU Cyrille

Khâgne B/L

1998