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Commentaire d’arrêt du Conseil d’Etat du 12 avril 2002 Papon

Sujet de CRFPA

 

L’arrêt rendu en Assemblée le 12 avril 2002 par le Conseil d’Etat, apporte un nouvel éclairage sur la théorie du cumul de fautes. Le 2 avril 1998, la Cour d’Assises de Gironde condamne Maurice Papon : d’une part,  à 10 ans de réclusion criminelle avec perte des droits civiques, civils et familiaux pour complicité de crime contre l’humanité à raison de sa participation, en tant que secrétaire général de la préfecture de Gironde entre 1942 et 1944, à l’internement et l’arrestation de personnes juives dans les camps nazis et d’autre part à verser aux parties civiles environ 720 000 euros.

M. Papon s’appuie sur l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui dispose que « Lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui. »,  pour que l’Etat prenne en charge cette somme. Essuyant un refus du ministre de l’intérieur tandis qu’il était préfet, M. Papon porte un recours auprès du CE.

Pour le ministre de l’intérieur, le fait que l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental annule tous les actes de Vichy pour cause d’illégalité, suffit à exonérer l’Etat républicain de toute responsabilité en la matière.

Outre l’enjeu pécuniaire, il s’agit de déterminer si le requérant n’a agi que sous les ordres de ses supérieurs et sous la menace de l’occupant ou si au contraire M. Papon s’est rendu personnellement coupables d’agissements emportant la qualification de faute personnelle.

Le litige en cause porte donc sur la responsabilité de l’Etat français à raison des agissements perpétrés par un agent public sous le régime de Vichy. Outre l’enjeu pécuniaire, il s’agit de déterminer si le requérant n’a agi que sous les ordres de ses supérieurs et sous la menace de l’occupant ou si au contraire M. Papon s’est rendu personnellement coupables d’agissements emportant la qualification de faute personnelle.

Le CE statuant sur la requête, a confirmé d’une part la faute personnelle de M. Papon qui a motivé sa condamnation par la cour d’Assises (I) et a jugé d’autre part que la responsabilité de l’Etat français pouvait être engagé pour des actes commis sous ce régime soit qu’il y avait aussi une faute de service (II). Le CE opère ainsi un revirement avec la tradition exonérait l’Etat français de toute responsabilité pour des actes commis par une autorité de fait mais non républicaine.

 

 

 

 

 

I) La faute personnelle de l’agent public

 

 

 

A) L’appréciation traditionnelle de la faute personnelle durant le service

 

            1) Les hypothèses et implications de la qualification de faute personnelle

 

                        a) Hypothèses

 

L’arrêt du Tribunal des conflits TC 30 juillet 1873 Pelletier a consacré la distinction entre faute personnelle et faute de service. Les deux fautes ont pour origine des dommages qui engendrent la responsabilité dans le premier cas de l’agent et dans le second de la personne publique qui l’a mandaté. Selon les propos du commissaire du gouvernement Laferrière en 1873, la première « révèle l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences ». La seconde, bien qu’imputable à un agent parfaitement identifié, conserve le caractère impersonnel.

 

                        b) Implications

 

En cas de faute personnelle, la compétence du juge judiciaire est entraînée tandis qu’en cas de faute de service, le juge administratif est compétent.

L’indemnisation par l’agent public est requise en cas de faute personnelle tandis qu’en cas de faute de service l’indemnisation de l’administration est nécessaire. Toutefois, la possibilité de demander l’indemnisation totale à l’administration, est ouverte, quitte à elle de se retourner contre l’agent fautif (CE 3 février 1911 Anguet, CE 26 juillet 1918 Époux Lemonnier et CE 28 juillet 1951 Laruelle).

 

            2) Les différentes qualifications de fautes personnelles

 

Trois types de faute sont distingués par la jurisprudence.

 

                        a) Faute personnelle commise en dehors du service et dépourvue de tout lien avec lui

 

Tout d’abord, la faute commise en dehors du service et dépourvue de tout lien avec lui entraîne la compétence du juge judiciaire (Dame Veuve Liztler 1954).

 

 

 

                        b) Faute personnelle commise en dehors du service mais non dépourvue de tout lien avec lui

 

Ensuite, la faute commise en dehors du service mais non dépourvue de tout lien avec lui CE 26 octobre 1973).

 

 

 

 

                        c) Faute commise dans le service mais détachable du service

 

 

 

La faute commise dans le service est une faute personnelle quand elle révèle :

 

- l’obéissance à un ordre manifestement illégal et portant une atteinte grave à l’intérêt public (CE 1944 Langneur)

 

- des préoccupations d’ordre privé par exemple une volonté d’enrichissement (CE 21 avril 1937 Melle Quesnel)

 

- une volonté de nuire par animosité à l’égard d’un usager du service (TC 5 juin 1947 Consorts Brun)

 

- les excès de comportement auxquels se livre l’agent par ex. un facteur qui frappe un usager qui le critique (TC  21 décembre1987 Kessler)

 

- une gravité exceptionnelle comme la brutalité particulière d’un agent des forces de l’ordre (TC 9 juillet 1953) ou le fait pour un chef de service de couvrir une erreur grave d’un subordonné mettant en danger la vie d’un patient ( CE 20 décembre 2001 Valette) 

 

- un comportement inexcusable (Laferrière en 1873). La faute peut être imputable à l’agent et non à sa fonction. En l’espèce le CE précise le caractère inexcusable et la gravité des faits et conséquences de l’acte dommageable de l’agent public.

 

 

 

 

B) L’appréciation de la faute personnelle en l’espèce

 

            1) Confrontation des arguments de M. Papon et des faits matériels établis par la cour d’assise

 

                        a) L’argumentation du requérant            

 

Le juge administratif peut qualifier de faute personnel une faute commise par l’agent dans l’accomplissement même de ses fonctions avec les moyens du service. Pour ce faire, il faut vérifier qu’il existe une faute détachable du service. M. Papon utilise deux arguments pour faire valoir qu’il n’a pas pris lui-même l’initiative des arrestations et déportations. Premièrement, il se dédouane de sa responsabilité en arguant des menaces dont il aurait fait l’objet par les autorités allemandes. Deuxièmement, il agissait sous les ordres de ses supérieurs en qualité de sous-préfet.

 

                        b) Les faits établis par le juge pénal

 

Mais le CE retient les faits établis lors du procès de la cour d’assises de Gironde même si l’appréciation du juge pénal ne s’impose pas à lui.

 

 

            2) Gravité exceptionnelle et caractère inexcusable de la faute

 

                        a) Les faits à la charge de M. Papon

 

Le CE rappelle trois faits décisifs dans son argumentation.

 

En premier lieu, M. Papon a spontanément accepté que le service des questions juives soit placé sous son autorité directe.

En second lieu, il a devancé de sa propre initiative les instructions de ses supérieurs en veillant à la recherche, l’arrestation et internement des personnes en cause avec le maximum d’efficacité et de rapidité.

En troisième lieu, il s’est personnellement attaché  à donner l'ampleur la plus grande possible aux quatre convois qui ont été retenus à sa charge par la cour d'assises de la Gironde, sur les 11 qui sont partis de ce département entre juillet 1942 et juin 1944, en faisant notamment en sorte que les enfants placés dans des familles d'accueil à la suite de la déportation de leurs parents ne puissent en être exclus.

           

 

                        b) Les motifs impliquant la faute personnel de M. Papon

 

La seule pression des occupants ne peut donc expliquer le comportement de M. Papon. Le zèle avec lequel il a agi pour accroître le nombre de victimes eu égard à la gravité exceptionnelle des faits et de leurs conséquences engage la responsabilité personnelle de M. Papon. M. Papon est donc inexcusable. Par ces motifs, il s’agit donc bien d’une faute détachable de l’exercice de ses fonctions d’après le CE.

 

 

II) La faute de service

 

 

A) La possibilité de cumul de faute personnel et faute de service

 

 

1) La théorie du cumul dans la jurisprudence du CE

 

Le juge admet la possibilité d’un cumul de faute personnel et de faute de service. N’étant donc pas exclusives l’une de l’autre quoique distinctes, il convient de rechercher s’il y a ou non faute de service quand la faute personnelle est établie.

 

                        a) Cumul de fautes

 

Dans le cas d’un cumul de fautes, la victime a la possibilité de choisir de poursuivre soit l’administration soit l’agent public. Cette solution permet aux victimes d’obtenir une réparation de la part de l’administration qu’elle ne pourrait obtenir de l’agent public faute de solvabilité (CE 1911 Anguet).

 

                        b) Cumul de responsabilités en cas de faute personnelle à l’occasion du service

 

Le cumul de responsabilités (CE 1918 Epoux Lemonnier) permet d’engager la responsabilité sans faute de l’administration quand la faute est commise à l’occasion du service. Cette jurisprudence permet aux victimes d’obtenir une indemnisation de l’administration même en l’absence de faute de celle-ci.

           

                        c) Cumul de responsabilités en cas de faute personnelle non dépourvu de tout lien avec le service

 

Le juge élargit le cumul de responsabilité au cas où une faute est commise en dehors du service mais non dépourvu de tout lien avec lui (CE 1949 Demoiselle Mimeur).

 

 

 

 

 

 

 

2) La responsabilité collective du service

           

La faute rendue possible par le service ou pire cumulée avec la faute collective du service est reconnue par la jurisprudence (CE 28 juillet 1951 Delville).

 

 

 

B) La responsabilité de l’Etat républicain en l’espèce

 

            1) De l’irresponsabilité de l’Etat républicain à l’égard des actes commis sous l’occupation…

 

La position traditionnelle du juge administratif est d’exclure la responsabilité de l’Etat républicain à raison des actes commis sous le régime de Vichy.

 

 

                        a) Actes commis sous l’autorité directe de l’occupant

 

Agent public ou collaborateur du service public agissant sous l’occupation n’engage pas la responsabilité de l’Etat républicain (CE 12 novembre 1948 Quin où un accident est commis par un conducteur d’un véhicule réquisitionné par l’occupant et CE 13 juillet 1951 Epoux Persan où un maire exécute des mesures allemandes).

 

                        b) Actes commis sous l’autorité de Vichy

 

 

L’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, consacre la nullité de tous les actes pris par l’autorité de fait.

 

            2)…à la responsabilité de l’Etat républicain pour des actes commis sous l’occupation     

           

a) La responsabilité collective du service est reconnue

 

                      

Plusieurs faits permettent d’établir cette responsabilité.

Tout d’abord, le juge relève la mise en place du camp d’internement de Mérignac et le pouvoir donné au préfet, dès octobre 1940, d’y interner les ressortissants étrangers « de race juive ».

Ensuite, le fait même qu’existe un service de questions juives avec un  fichier permettant de recenser les personnes en cause, engage la responsabilité collective du service.

Enfin, les services de police ont reçu l’ordre de participer aux arrestations et internements des personnes figurant dans le fichier.

De tels agissements ne pouvant s’expliquer directement par la pression de l’occupant, ils constituent donc une faute de service dans laquelle s’inscrit la faute personnelle de M. Papon.

 

                        b) La responsabilité de l’Etat républicain emporte sa condamnation

 

Malgré l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, il ne peut y avoir un régime d’irresponsabilité de l’Etat républicain. Justement le fait même d’annuler ces actes, atteste de leur caractère fautif. Certes, l’Etat républicain n’est pas la continuité du régime de Vichy, en ce sens il n’y a pas faute de l’Etat républicain, mais il y a tout de même responsabilité. Ce raisonnement permet aux victimes d’obtenir une indemnisation et d’avoir la reconnaissance morale de la responsabilité de l’Etat français à raison de cet héritage non républicain.

 

 

 

Cyrille GODONOU Maîtrise droit public 2005