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Sujet de dissertation en Droit du service public en Maîtrise de droit public :

Service public et droit communautaire sont-ils compatibles ?

 

Sujet proche donné à l’oral de questions européennes au concours externe de l’ENA en 2001 : Service public et droit communautaire de la concurrence

 

 

 

Introduction :

 

 

L’actualité met en exergue la remise en cause de certains monopoles publics. Des sanctions de la Cour de Justice des Communautés européennes sont prononcées à l’encontre de France Telecom ou au sujet de la mise en concurrence d’EDF-GDF.

Le service public désigne tantôt les activités et missions d’intérêt général, tantôt l’ensemble des organismes publics ou privés chargés des missions d’intérêt général. Il s’organisait exclusivement en fonction des normes de droit interne jusqu’à l’avènement du droit communautaire, fruit de la construction européenne. Relevant du droit international, le droit communautaire s’impose aux Etats signataires. A l’instigation de la Commission européenne, le juge communautaire sanctionne les atteintes au droit de l’Union européenne.

Or, les règles libérales édictées par ledit droit se trouvent en contradiction avec le principe même du service public. Les privilèges de tarification, les monopoles publics et d’une façon générale toute atteinte aux principes du droit de la concurrence qui visaient naguère à servir l’intérêt général s’opposent donc à la vision libérale de l’Union européenne. Assurément se pose donc le problème de la compatibilité du service public à la Française et du droit communautaire. S’agit-il d’une incompatibilité fondamentale ou apparente ? Une conciliation est-elle possible ? Comment assurer la cohérence juridique du droit interne et du droit communautaire ?

Un divorce apparent entre service public à la Française et droit communautaire est indéniable (I), mais un mariage possible et nécessaire s’opère entre service public et droit communautaire (II).

 

 

 

 

 

I) Un divorce apparent entre service public et droit communautaire

 

D’une part, des divergences entre droit français du service public et droit communautaire de la concurrence sont constatés. D’autre part, la cohabitation des deux ordres juridiques est une source de difficulté.

 

 

 

A) Des divergences entre droit français du service public et droit communautaire

 

Il convient de spécifier la conception du service public à la Française et de montrer la différence de l’optique libérale de l’Union Européenne.

Du fait de la spécificité du service public, à savoir l'intérêt général, ces activités ne  sont pas  soumises aux même règles que celles qui s'appliquent aux personnes privées dans leurs activités qui ne relèvent pas du service public. C'est pourquoi, les activités de service public doivent être placées sous un régime dérogatoire au droit privé. Elles se voient appliquées des obligations particulières, appelées " lois de Rolland ".Ces lois de Rolland sont constitués de trois principes fondamentaux : il s'agit des principes d'égalité, de continuité et de mutabilité des services publics.

En droit français, le principe d'égalité est l'un des éléments fondateurs de notre ordre juridique. Le juge administratif français doit donc veiller à son respect dans le cadre national, quitte à l'adapter quand une différence objective de situations risque d’engendrer une iniquité de fait
En revanche, l’égalité n'est qu’au service d’un principe supérieur en droit communautaire qui est la concurrence. Cette différence essentielle entre l'ordre juridique national et l'ordre juridique européen explique la divergence des jurisprudences.

 

B) La cohabitation du droit communautaire et du service public: une source de difficulté

 

La cohabitation difficile se traduit par des aménagements nécessaires pour prendre en compte le droit européen de la concurrence.

L’arrêt Corbeau du 19 mai 1993 a posé des limites au monopole public qui n’est plus justifié dès lors qu’il s’agit d’un service commercial complémentaire au service de base d’impérieuse nécessité pour l’intérêt général.Tant que le service complémentaire et accessoire ne met pas en péril le service d’impérieuse nécessité, il n’y pas lieu de restreindre la concurrence. Le droit national doit donc prendre acte de cette distinction. Les traditions juridiques se heurtent, en l’occurrence à la jurisprudence communautaire.

Paradoxalement, c’est au travers d’une exception au principe d’égalité admis par la jurisprudence, que le droit interne entre en conflit avec le droit communautaire.

Sous certaines conditions, des tarifs préférentiels peuvent être accordés aux résidents pour l'accès aux services publics locaux. Ce choix jurisprudentiel vise à assurer non plus une stricte égalité devant le service public mais une égalité au sein et catégories différentes  d’usager couplé à une « équité » entre usagers de catégories différentes.

Dans un arrêt du 10 mai 1974 (Dénoyez et Chorques), relatif aux tarifs du service de bacs reliant alors l'Île de Ré au continent, le Conseil d'Etat a défini les conditions de cette dérogation au principe d’égalité. Ainsi, pour être autorisée, la fixation de tarifs différents applicables à diverses catégories d'usagers du service public doit être soit la conséquence d'une loi, soit justifiée par l'existence de différences appréciables de situations entre les usagers, soit par une nécessité d'intérêt général, en rapport avec les conditions d'exploitation du service ou de l'ouvrage.

La discrimination tarifaire fondée sur la domiciliation est reconnue par le juge administratif dès lors que le service n’est pas obligatoire. Il en va ainsi entre enfants résidant dans une commune et les autres pour la tarification d’une cantine scolaire (CE 5 octobre 1984 Commissaire de le République de l’Ariège).

La discrimination tarifaire fondée sur les ressources familiales est aussi admise par, le Conseil d'Etat, (29 décembre 1997 - commune de Gennevilliers et commune de Nanterre).Dans son arrêt du 16 janvier 2003, la Cour de justice des Communautés européennes va à l’encontre de la jurisprudence du Conseil d’Etat. La Commission a engagé devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) un recours à l'encontre de la République italienne, au motif que  des tarifs préférentiels à l’entrée de musées locaux en fonction de l’âge, de la résidence et de la nationalité  étaient contraires au droit communautaire.

La contradiction entre la jurisprudence du Conseil d'Etat et celle de la Cour de justice des Communautés européennes  s’expliquent par les différences intrinsèques des sources de droit que chacun des deux juges sont respectivement chargés, en l'espèce, d'appliquer.

Suite à l’arrêt du 16 janvier 2003 de la CJCE, de nombreuses communes françaises s'interrogent sur une éventuelle remise en cause des tarifs préférentiels accordés à leurs administrés pour l'accès aux services publics. Quoi qu'il en soit, une interrogation réelle sur la conformité au droit européen des tarifs préférentiels d'accès aux services publics locaux se pose et appelle des ajustements dans l’ordre juridique national.

 

 

 

Transition : Certes, des différences de conception entre droit public français et droit communautaire sont indéniables. La prise en compte des normes juridiques communautaires en droit interne ne vont pas sans difficulté. Nonobstant ces réalités, l’incompatibilité du service public et du droit communautaire n’apparaît pas insurmontable. Dans quelle mesure peut-on concilier les deux ordres juridiques sur la question du service public?

 

 

 

II) Un mariage possible et nécessaire entre droit français du service public et droit communautaire

 

Des efforts sont effectués de part et d’autre pour concilier service public et normes communautaires (A). La prééminence du droit communautaire permet d’assurer la sécurité juridique (B). 

 

 

A) Des efforts partagés entre les deux ordres juridiques : une conciliation nécessaire

 

D’une part, des concessions de l’UE permettent de déroger au libéralisme permettant ainsi le maintien des services publics. D’autre part, le droit communautaire est pris en compte en droit interne.

L'Europe est fondée sur la libre concurrence, et a mis longtemps à reconnaître l'existence des services publics. En toute rigueur, le Traité de Rome ne condamne pas le service public. Il impose seulement des conditions et un cadre  à son existence. En l’absence de notion de service public en droit communautaire, la notion de service universel a été élaborée au niveau européen

La Commission européenne définit ce concept comme un ensemble d'exigences d'intérêt général auxquelles devraient se soumettre, dans toute la Communauté, certaines activités. Elle ajoute que les obligations qui en découlent visent à assurer partout l'accès de tous à des prestations essentielles, de qualité et à un prix abordable. Il repose donc sur des principes essentiels du service public que nous connaissons en droit français : égalité, continuité. Dans ce cadre, le monopole d'origine étatique peut se justifier. L'article 86 ex-90 du Traité dispose que les Etats membres, lorsqu'ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs aux entreprises ou à leurs entreprises publiques doivent ne pas se mettre ou ne pas les mettre en contravention avec le droit de la concurrence. Le paragraphe 2 stipule quant à lui que les entreprises en charge d'un intérêt économique général y sont également soumises « dans la limite où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur est impartie ». L'article 86 ex-90 concerne l'impératif des lois du marché et l'article 86 ex-90 l'impératif du pouvoir étatique de concevoir une politique économique et de servir ses missions de service public. Le service public est donc l'exception au marché. Il n’existe qu’à titre dérogatoire au système de marché. Il n’est légitime que pour autant qu’il correspond à la notion européenne intérêt économique général au sens communautaire.

Il y a deux principes qui sont à l’œuvre dans le Traité de Rome, celui du marché d'une part, celui du service public d'autre part. Les deux concourent doivent concourir à la prospérité économique et social. Le marché assure la prospérité économique générale par son efficacité. Le service public garantit à chacun le minimum et promeut la vie sociale. Logique de marché et logique de service public constituent donc deux instruments alternatifs pour un même but général que se fixe le Traité de Rome : la prospérité du consommateur.

La notion de service d'intérêt économique général permet de conserver des monopoles publics, évitant ainsi la privatisation et dissolution complète de ces services Si la notion service d'intérêt économique général de n'est pas expressément définie par le Traité de Rome, les conditions d'application de l'article 86 ex-90 sont en revanche davantage identifiées. La reconnaissance d'un service d'intérêt économique général au sens de l'article 86-2 ex-90-2 passe par quatre conditions.

 

Premièrement, l'entreprise doit pouvoir se prévaloir d'un acte de délégation de service public même si la Communauté laisse les Etats membres libres de définir les missions d'intérêt général, et d'octroyer aux entreprises qui en sont chargées les droits spéciaux ou exclusifs nécessaires pour assurer ses missions.

Deuxièmement, l'entreprise doit pouvoir établir que les tâches particulières confiées par la puissance publique constituent bien des MIEG

Troisièmement, l'article 86-2 dispose en effet que les règles de concurrence ne peuvent être appliquées que dans la mesure où « l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière impartie [à l'entreprise] ». L’entorse aux règles de la concurrence doit être nécessaire même si l’entreprise  fournit un service d’intérêt économique général. Un test de proportionnalité permet au juge communautaire de censurer les entraves abusives à la concurrence sous prétexte de service d’intérêt économique général.

Quatrièmement,  le respect de l’intérêt communautaire demeure.

 

Il faut souligner la prise en compte du droit communautaire en ce qui concerne la légalité de certaines activités économiques émanant de personne morale privée et publique. Le meilleur exemple de ce volontarisme libéral du législateur français est l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

 

B) La prééminence du droit communautaire en droit interne: un mariage forcé

 

La primauté du droit communautaire est effective et garantit ainsi la sécurité juridique. Et l’invocation des règles communautaires en droit interne remet en cause la légalité de certains services publics.

En droit international, les traités s’imposent aux Etats faute de quoi  leur responsabilité internationale. Pour le droit communautaire, la cour de justice, par l’arrêt Costa c/ ENEL (15 juillet 1964), a affirmé le principe de la primauté du droit communautaire. Bien que le traité de Rome ne pose pas un principe général de primauté, par l’arrêt Costa, la Cour de justice invoque non seulement les termes du traité, mais aussi son esprit. Dès 1963, dans l’arrêt Van Gend en Loos, elle avait affirmé le principe d’intégration du droit communautaire dans le droit national.
Faute de stipulation explicite de cette primauté dans le Traité, c’est donc par la jurisprudence que la prééminence du droit communautaire s’est affirmée.

            Dans l’arrêt Van Gend en Loos, la Cour de Justice des Communautés Européennes avait tempéré sa position en déclarant : " les Etats ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains ". Les termes de l’arrêt Costa affirment ce principe avec davantage de netteté : " le traité a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des Etats membres et qui s’impose à leurs juridictions ". L’application uniforme du droit communautaire est ainsi garantie.

Le Conseil d’Etat a longtemps refusé de faire prévaloir les traités sur les lois postérieures contraires (C.E. 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France).
En 1989, il s’est finalement résigné à appliquer le principe de primauté du droit communautaire en s’appuyant sur l’article 55 de la constitution (CE 20 octobre 1989 Nicolo).

 

 

GODONOU Cyrille

Maîtrise de droit public

2005