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Retour analyse et politique économique
Les missions de service public
doivent-elles être assurées par le secteur public?
Le non des Français au référendum relatif au traité constitutionnel
européen a cristallisé bon nombre de craintes de nos concitoyens. On a en
particulier assisté à l'émergence d'un "non de gauche" motivé par le
refus d'une Europe jugée trop libérale et susceptible de ce fait de porter
atteinte au modèle social français. A ce sujet, on a assisté à un débat intense
sur la question des services publics. D'un coté les partisans du oui affirment
que le rôle social primordial des services publics est reconnu par le traité constitutionnel via
les services d'intérêt économique général (SIEG). A contrario, les tenants du non pensent que ces SIEG
ne constituent nullement une garantie suffisante pour la défense des services
publics français et craignent en particulier, au vu de la teneur jugée trop
libérale du reste du texte, que l'on aboutisse au contraire à une privatisation
de ces-dits services publics. Comme on peut le constater, le débat autour des
missions des services publics et des différentes manières de les assumer n'est
pas simple : d'une part parce que la notion de service public n'admet pas une
unique définition, et d'autre part parce que les avis divergent sur les façons d'assurer
les missions des service publics.
C'est pourquoi, après avoir définit dans une première partie la notion
de service public, nous examinerons les différentes manières de les assurer
ainsi que les avantages et inconvénients de chacune de ces méthodes.
Actuellement, deux visions différentes de la notion de service public
s'opposent en économie.
Pour les classiques et les néo-classiques, une mission de service
public ne peut être justifiée que dans deux cas précis : tout d'abord lorsqu'il
s'agit pour l'Etat d'assumer ses fonctions régaliennes, telles la défense du
territoire, la mise en place de lois et leur application par la justice. Et
d'autre part lorsque le marché se révèle défaillant sur un point particulier,
auquel cas il convient de pallier ce "Market Failure". Parmi ces
imperfections du marché requérant la mise en place d'un service public pour y
obvier, on trouve tout d'abord les externalités (positives ou négatives),
interactions entre agents économiques ne transitant pas par le marché et qui
peuvent de ce fait amener à des situations économiques et sociales
sous-optimales pour la société. Il est alors nécessaire de remédier à ces
effets externes, par exemple par la création d'une autorité de contrôle ou de
régulation qui aura alors à assumer une mission de service public. Ensuite les
situations de monopole naturel – cas de figure ou, du fait d'économies
d'échelle très importantes, il est plus efficient qu'une unique firme desserve
seule le marché – exigent aussi une intervention de l'Etat pour réguler le
monopole, afin d'éviter que la firme qui en bénéficie n'abuse de sa position.
Là encore, cette mission de régulation peut s'apparenter à un service public.
Enfin dans le cas des biens collectifs, il revient aussi à l'Etat de s'immiscer
dans l'économie : en effet un bien collectif étant à la fois non rival – une
fois produit, il peut être utilisé par un grand nombre de personne sans coût
supplémentaire – et non exclusif – il est impossible d'en limiter l'utilisation
à ceux qui ont payé – il ne peut donc être produit par le marché et ce même
s'il se révèle être d'une grande utilité. Là encore la production de ce type de
bien peut amener à la création d'un service public.
Comme on peut le constater, les classiques et les néo-classiques ont
une conception très restrictive des services publics, puisque ceux-ci se
résument à un moyen de pallier les imperfections du marché.
A l'opposé de cette approche
limitative et négative, la vision française des services publics se veut
positive : les services publics sont ici définis comme toutes les activités
dont l'accomplissement doit être impérativement assuré au nom de l'intérêt
général, avec des contraintes de continuité de service et d'égalité de
traitement pour chaque consommateur. Cette définition, beaucoup plus vaste que
celle des classiques, englobe bien évidemment tous les cas de figure envisagés
précédemment, tout en rajoutant la notion de service de l'intérêt général.
Contrepartie de cette extension du "champ d'action" des services
publics, cette définition est de fait plus générale et moins précise.
Cette conception des services publics moins minimaliste que celle des
classiques a été en partie reprise par la Commission Européenne en 1996, sous
la pression des gouvernements qui souhaitaient voir reconnu une spécificité aux
services publics. La Commission a ainsi définit le "service
universel" comme l'ensemble des services de base pour lesquels un droit
d'accès pour tous les citoyens est jugé indispensable. Mais cette définition,
s'il est couvre effectivement un champ plus étendu que celle des classiques,
n'en demeure pas moins là encore relativement floue.
Comme on le voit, la notion de service public est loin d'être
clairement définie, et dépend fortement de la culture et du type d'économie du
pays concerné. En revanche, quelle que soit la définition des services publics
retenue, deux méthodes différentes existent
pour assurer les missions de ces services publics. Nous allons
maintenant détailler chacune de ces méthodes et en exposer les avantages et les
inconvénients.
La première approche est de confier les missions de service public au
secteur public. Cette approche paraît à première vue la plus logique et n'est
pas dénuée de qualité. En effet, le secteur public n'ayant pas pour finalité
première, contrairement au secteur privé, de réaliser des bénéfices, il
valorisera les missions de service public qui lui sont confié, tandis qu'elles
ne sont considérés dans le privé que sous l'angle économique, sous forme de
coûts à minimiser. En outre dans le cas d'un monopole naturel, l'Etat
actionnaire semble être le mieux placé pour contrôler ce monopole puisque,
entre autre, la rente de monopole revient alors à la collectivité ce qui va
dans le sens de l'intérêt général. De plus, il est des situations où la concurrence
qui s'exerce dans le secteur privé peut être source d'inefficacité et ainsi
nuire à la mission de service public : on peut ainsi donner l'exemple des transports urbains au Royaume-Uni (hors
Londres) où la multiplication des lignes sur les trajets les plus rentables,
associée à une féroce guerre des horaires entre les diverses compagnies, a
engendré une perte d'efficacité certaine et s'est faite au détriment des autres
lignes jugées moins rentables. Enfin, s'il est souvent vrai que les
performances des entreprises du secteur privé sont supérieures à celles des
entreprises publiques, l'Etat propriétaire ou actionnaire majoritaire public
n'est pas systématiquement synonyme d'inefficacité : ainsi la nationalisation
des entreprises opérée en 1981 a permis un redressement spectaculaire de
certaines d'entre elles – Renault pour n'en citer qu'une - , et les résultats récents d'entreprises comme
EDF, GDF ou encore France Telecom prouvent qu'il n'est pas impossible pour des
entreprises publiques ou semi-publiques ayant des missions de service public
d'être efficace et de réaliser des bénéfices.
Mais bien évidemment cette approche n'est pas sans défaut. D'une part
il est possible, lorsque les services publics sont assurés par le secteur
public, que l'on assiste à des conflits d'intérêts entre employés et
contribuables-usagers, généralement au détriments de ces derniers, comme c'est
le cas par exemple pour ce qui est du transport ferroviaire en France avec la
SNCF. D'autre part, le secteur public n'ayant pas comme finalité première de
réaliser des bénéfices, on peut légitimement craindre que l'entreprise ne soit
pas aussi efficace que possible, avec l'existence de "gâchis" par
exemple. Enfin la mondialisation et l'ouverture des économies qui en résulte impose
aujourd'hui aux entreprises de s'internationaliser, ce qui est difficile pour
des entreprises publiques du fait de leur statut.
La seconde alternative consiste à
déléguer les missions de service public à des organismes privés, avec un
cahier des charges spécifiant les obligations de service public qui leurs
incombent et la mise en place éventuelle d'un système de subvention visant à
financer le surcoût potentiellement généré. Ce système de délégation peut
prendre la forme de concessions ou de régies. Le principal avantage de choix
sera avant tout visible en terme de performance économique du système : en
effet, les entreprises privées, du fait de la concurrence à laquelle elles sont
continuellement soumises, sont en général plus rigoureuses sur les coûts, plus
efficace en terme de minimisation des coûts sous contrainte d'un service public
à rendre. En outre, l'aiguillon de la concurrence – avec la possible entrée de
concurrents sur le marché – et la possibilité d'une sanction par le marché sous
la forme d'une OPA – en cas de trop grande inefficacité – les obligent à
maintenir un certain niveau de performance qui, s'il se fait dans le respect du
cahier des charges imposé, ne peut aller que dans le sens d'un meilleur service
public. De plus, les firmes privées n'ont elles aucun problème pour
s'internationaliser et ainsi faire plus efficacement face à la mondialisation.
En revanche, et comme nous l'avons déjà évoqué précédemment, la
concurrence peut aussi être source d'inefficacité, et il est à craindre que
dans le cas d'une entreprises privé, la mission de service public soit avant
tout perçue comme une contrainte plutôt que comme une mission. En outre il est
important de remarquer que, du fait de l'asymétrie d'information existante –
l'entreprise privée chargée de la concession connaissant parfaitement sa
fonction de coût - , les concessions savent aussi extraire de la rente, en
surestimant leurs coûts de façon à obtenir des tarifs ou des subventions plus
élevés.
Comme on le voit, le débat sur la façon d'assurer le plus efficacement
possible les missions de service public est très loin d'être tranché, et ce
d'autant plus que chaque approche présente des avantages et des inconvénients
certains. Certes, la libéralisation et l'internationalisation des économies à
l'oeuvre depuis 30 ans militent dans le sens d'une plus grande ouverture à la
concurrence dans les services publics, mais cette ouverture à la concurrence
n'est pas obligatoirement synonyme de privatisation. La manière d'assurer au
mieux les missions de service public constitue en fait un véritable choix de
société qui dépasse de loin le simple cadre d'enjeux économiques.
Emmanuel
Statisticien
2005